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Trajectoires et pathways des exploitations agricoles en Amazonie : Les cas de Paragominas et Guaviare.

Quels facteurs sont déterminants dans les trajectoires des propriétés agricoles en Amazonie et quels changements au cours de ces trajectoires favorisent la préservation des forêts et la prévalence des principes agro-écologiques ? Ces questions sont au cœur de la thèse de doctorat d’Andrés Vega, financée par TerrAmaz et orientée par Nathalie Cialdella et Nadine Andrieu.

Pour répondre aux objectifs de sa thèse, Andrés a d’abord élaboré une méthodologie solide permettant d'analyser la grande variété des trajectoires des propriétés agricoles en Amazonie et de les situer géographiquement dans le territoire. Cette méthodologie a été élaborée à partir d'une revue systématique de la littérature académique existante sur les trajectoires des agriculteurs, fondée sur la méthodologie PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses).

La littérature se répartit en deux types d’approche : i) des analyses rétrospectives mobilisant le concept de trajectories et des études compréhensives des changements passés dans les exploitations agricoles, ii) des analyses prospectives, regroupées autour de l’utilisation du concept de pathways, qui s’intéressent aux futurs possibles des systèmes de production agricoles dans un environnement donné.

Un premier résultat surprenant est que ces deux types d’approches sont cloisonnées, alors que les changements passés sont primordiaux pour penser le futur. La thèse d’Andrés Vega est une tentative de combinaison de ces deux courants.  De plus, les travaux sur les trajectories et les pathways sont déconnectés de la question des transitions agro-écologiques et le rôle des femmes et de l'organisation des activités familiales sont également rarement pris en compte.

Cette analyse de la littérature a fait l’objet d’une présentation au séminaire de la Société Française d’Économie Rurale en décembre 2022 et un article a été soumis à la revue  Agronomy for Sustainable Development fin Avril 2023.

Pour en savoir plus :  How farms trajectories and pathways are analyzed?

Une méthodologie mixte alliant analyses rétrospective et prospective

Andrés a donc proposé une méthodologie mixte pour combler ces différentes lacunes, qu’il a appliquée à Paragominas, au Brésil et dans le Guaviare, en Colombie.  

L’échantillonnage des zones retenues pour l’analyse rétrospective de trajectoires a suivi un protocole de zonage de la commune de Paragominas et du département du Guaviare. Ce zonage  prend en compte les configurations spatiales liées aux situations agricoles en utilisant des critères tels que l'état des routes, les usages des sols et la présence – ou l’absence - de bassins de production. En collaboration avec des informateurs clés sur le terrain, les zones retenues ont été affinées. Ce travail a été réalisé afin d'avoir la plus grande hétérogénéité de trajectoires au sein du territoire. Ensuite, 30 entretiens ont été menés à Paragominas et 15 à Guaviare avec des agriculteurs et des agricultrices.

Ces entretiens visent à produire des informations sur les systèmes de production, la configuration et l'organisation des collectifs de travail, le rôle des femmes et d’éventuelles bifurcations (changements radicaux dans une période de temps court), l'application des principes agroécologiques à différentes étapes des trajectoires agricoles.

L’analyse prospective des pathways est basée sur une collecte de données organisée en focus groups avec des agriculteurs et agricultrices dans les zones d’études sélectionnées. Des  futurs souhaitables à l’horizon de 10 ans sont explorés par les participants, avec l'ambition de discuter les dimensions de durabilité au niveau local qui font sens pour les familles  du Guaviare et de Paragominas. Cette méthode est basée sur une adaptation du triangle du futur proposé dans les publications de Inayatullah S. pour les exploitations agricoles. L'objectif du triangle est d'identifier les futurs plausibles en mettant l'accent sur les souhaitables, en tenant compte du passé et de la situation actuelle de ces trajectoires. Les ateliers prospectifs ont eu lieu à Guaviare dans la vereda de Unilla et à Guacamayas. Trois ateliers à  Paragominas sont prévus en janvier et début février 2024.

Pour en savoir plus sur la méthode proposé par Inayatullah S.:  Six pillars: futures thinking for transforming

Premiers résultats préliminaires

Un des résultats communs à Guaviare et Paragominas est que toutes les femmes rencontrées dans les zones d’étude sont impliquées dans les travaux agricoles sur la propriété.

A Paragominas, le rôle des femmes semble crucial au début des trajectoires pour la mise en place et la stabilisation du système de production agricole. Les bifurcations (changements radicaux sur de courtes périodes) sur l’échantillon de la thèse sont surtout liées à des facteurs endogènes qui affectent l'organisation du travail familial, comme les séparations, les maladies et les fluctuations dans les transitions générationnelles. Les résultats préliminaires montrent aussi que les propriétés gérées par des agricultrices présentent souvent une instabilité dans leur trajectoire lorsque celles-ci sont seules. Un poster a été présenté à la conférence interdisciplinaire annuelle Tropentag à Berlin, en Allemagne, en septembre 2023

Pour en savoir plus sur le poster présenté :  Work organization and the role of women in Amazonian farm trajectories 

Dans le Guaviare, les résultats préliminaires montrent que les trajectoires des exploitations agricoles présentent des bifurcations significatives pendant et après le conflit armé, tant au niveau du noyau familial que sur le plan économique et agronomique (contamination des sols), en particulier suite aux opérations de  fumigation des cultures illicites. Les femmes sont les plus touchées avec les jeunes par ces bifurcations. Les résultats montrent qu'en cas d'instabilité due au conflit, les agricultrices sont les premières à partir avec leurs enfants, ce qui affecte directement les trajectoires agricoles.

Les ateliers prospectifs réalisés dans le Guaviare ont mis en évidence que les agriculteurs et agricultrices n'avaient pas vraiment de marge de manœuvre quant à leur projet agricole avant la signature des accords de paix , car la culture de la coca s’imposait pour des questions de survie. Avec la mise en place du processus de paix et l’augmentation des investissements pour le développement rural, plus d’options de production (élevage, fruits, maraichage) sont ouvertes et les activités peuvent être envisagées sur le moyen et long terme. Les agriculteurs et agricultrices cherchent aussi désormais à améliorer leurs systèmes de production sans avoir besoin de défricher la forêt. Le passage entre générations reste un défi complexe en raison de facteurs liés au conflit et du manque d’attractivité  des activités rurales pour les jeunes.

Andrés va finaliser sa dernière phase de terrain à Paragominas - Brésil - fin février 2024. Il poursuivra ensuite en France l’analyse de ses résultats et finalisera la rédaction de sa thèse. Sa soutenance est prévue en décembre 2024.

Publiée : 30/01/2024